Méfions-nous quand la confiance règne

Cécité, aveuglement, ou simple détournement des yeux ? l’affaire Wirecard qui secoue l’Allemagne de la finance est maintenant qualifiée de « catastrophe totale » par le président du régulateur, le BaFin, mais il va falloir expliquer comment elle en est arrivée là et que cette escroquerie a pu passer inaperçue.

Ce joyau choyé de la nouvelle économie a finalement été pris la main dans le pot de confiture et a dû déclarer faillite, mais il a fallu du temps depuis les premières alertes du Financial Times datant du début 2019. 1,9 milliards d’euros ont purement et simplement disparus (parce qu’ils n’ont jamais existé), et 3,5 milliards de créances vont probablement en faire autant. Nul ne se vante d’être parmi les perdants, mais l’on sait que les banques françaises BNP Paribas, Crédit Mutuel, Société Générale et Crédit agricole sont sur les rangs. Dans un système financier aussi interconnecté – on dit systémique dorénavant – il y a toujours des gagnants et des perdants, les premiers s’en vantent, les autres se taisent.

Ces derniers ont notamment été victimes de l’un de ces montages financiers dont ils sont si friands, aux bons soins du Credit Suisse. Au terme d’un partenariat avec Wirecard, la SoftBank japonaise avait investi 900 millions d’euros dans la compagnie sous forme d’actions convertibles, qui désormais ne valent plus rien. Mais celles-ci avaient été immédiatement revendues, en particulier à des fonds de pension détenus par BNP Paribas et Crédit Mutuel, selon le Wall Street Journal. De la bonne finance et rien d’illégal, mais cela ressemble furieusement au jeu de la patate chaude, cet investissement ayant eu lieu après que l’alerte ait été donnée ! Quant au Crédit Agricole, il a participé à un pool bancaire qui a ouvert un crédit renouvelable à Wirecard de 1,75 milliards d’euros, selon l’Agefi.

Identifier un lampiste ne suffira pas cette fois-ci. Tous sont responsables et coupables, le régulateur, les auditeurs et agences de notation, ainsi que les analystes financiers ! Quand une telle collection est rassemblée, c’est que le système financier est en tant que tel en cause, cette fois-ci au départ de l’Allemagne.

Que le régulateur et les agences de notation aient été bernés, cela peut difficilement étonner, mais que ces gardiens du temple que sont les analystes financiers n’aient rien signalé interroge ! Il est donné comme explication que le métier n’est plus ce qu’il était, que leurs rangs sont clairsemés depuis que leurs services sont payants, et qu’il faudrait avoir des capacités d’investigations qu’ils ne possèdent pas pour déceler une pareille tromperie qui de surcroit a eu lieu aux Philippines. Simplement, la vérité était trop dérangeante.

Tout le monde n’a pour autant pas perdu le Nord. Les hedge funds qui sont des spécialistes de la vente à découvert avaient bien compris qu’il y avait de bonnes affaires en vue. D’après le Financial Times, qui peut savourer la reconnaissance de son travail, ils auraient empoché un peu plus d’un milliard d’euros en pariant sur la déconfiture du titre, en n’ayant pour cette fois pas besoin de la précipiter… Grâce au BaFin, le marché financier allemand aura été un paradis pour les plus avertis. Mais l’histoire ne dit pas le nom des victimes, les saurons-nous jamais ?

C’est par construction que le système financier est opaque. De temps en temps, une grande escroquerie éclate, Wirecard aujourd’hui fait écho à l’affaire Enron en 2011 ou à la pyramide de Ponzi de Bernard Madoff en 2008. Combien d’autres sont entretemps passées sous les radars ?

La présidence allemande de l’Union européenne, qui va intervenir au 1er juillet, est baptisée sous les auspices de ce nouveau scandale. Après la déconfiture de la Deutsche Bank et de la Commerzbank, sans oublier les interrogations qui planent sur l’état réel des caisses d’épargne, il se confirme que le secteur financier allemand n’est pas blanc blanc. Valdis Dombrovskis, le vice-président en charge des services financiers de la Commission, a demandé l’intervention de l’Esma, le régulateur européen, mais il serait fondé à également s’interroger sur les assouplissements programmés de la régulation financière, et pas uniquement sur les gouffres masqués et les manquements des autorités de surveillance.

Soyons justes, ce même BaFin n’était pas resté totalement inactif, il avait en effet attaqué les journalistes qui avaient soulevé le lièvre, au nom de l’atteinte à « la confiance des marchés ». Encore bravo !

L’affaire Wirecard ne fait que commencer. Ernst & Young qui a audité pendant dix années consécutives la compagnie – en tirant 10 millions d’euros de revenus – est emblématique du conflit d’intérêt structurel de l’audit, quand les entreprises rémunèrent les agences qui les réalisent. Or, il se révèle que Ernst & Young s’est contenté de justificatifs électroniques qui étaient des faux, contrevenant aux règles les plus élémentaires de l’audit en acceptant des sources de tiers qu’il ne contrôlait pas. Arthur Andersen a été démantelée en 2002 à la suite de l’affaire Enron, est-ce le sort qui attend Ernst & Young ?

Va-t-il être décidé de supprimer le lien financier qui lie les entreprises à leurs auditeurs ? Ce n’est pas demain la veille.

3 réponses sur “Méfions-nous quand la confiance règne”

  1. Bonjour,
    « Va-t-il être décidé de supprimer le lien financier qui lie les entreprises à leurs auditeurs ? Ce n’est pas demain la veille. »

    La solution ne serait-elle pas de démanteler les cabinets d’audit et confier cette mission à des organismes d’état ?

    1. Mon opinion à moi qui n’engage que moi (personnellement) est que la véritable question est de savoir qui contrôle l’État ?

      S’il s’agit d’un État néolibéral comme l’est devenu l’État français, c’est-à-dire une simple superstructure au service des intérêts privés où une classe de politiciens professionnels est en charge de voter des lois et de signer des traités « cliquets » pour assurer la fuite en avant du capitalisme, alors autant confier la régulation à l’IGPN.

  2. @ jeanpaulmichel

    Ontologiquement ( en bon français: ‘A la base’ ou ‘D’abord’) l’ État c’est mal. Comment pourrait-il être la solution?

    Vous ne le saviez pas? Un exemple au hasard: ce que sont devenus les hôpitaux publics ne vous inspire pas?

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